Livre d'or

Hommage de son Papa

HOMMAGE A PHILIPPE, NOTRE GUERRIER.

Voilà maintenant un an que notre Philippe nous a quitté, nous a été arraché par le « crabe ».

Et c’est ainsi que notre vie depuis lors est abîmée, chamboulée, parfois presque arrêtée.

Une certaine logique humaine veut que les enfants accompagnent leurs parents lors du départ pour l’au-delà, mais pas l’inverse. Et pourtant… La perte d’un enfant est une plaie qui ne cicatrise jamais. 

Une citation de Victor Hugo disait « tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis » Ce texte court s’applique bien à ce que nous vivons, nous les parents, mais aussi Mélanie, son épouse. Également ses sœurs, nièces et neveux, tantes et oncles, tous ses potes et ses collègues Googler.

Dans mon intervention je pourrais parler ou non à la 1ère personne pour des questions de commodités de langage. Mais à l’évidence Mélanie et mon épouse devraient être en phase avec mes propos.

Après plusieurs mois de nuits incomplètes, de gamberge, j’ai éprouvé le besoin de parler de Philippe, comme si j’éprouvais le besoin d’expurger une peine qui me ronge. De sortir aussi de moi toutes les angoisses, les peurs de verdicts vécus pendant 25 ans.  Au moins dans ce domaine-là Philippe et moi étions plutôt du genre taiseux. Ainsi et à chaque contrôle de santé pendant 25 ans, tous les 3 ou 6 mois, j’accompagnais Philippe. En salle d’attente nous parlions de tout et de rien. Puis à la sortie du service hospitalier nous répartissions les tâches. Lui appelait ses sœurs, puis ses potes, et moi mon épouse quel que soit le résultat de l’examen. Plus tard sa priorité d’appel était réservée à Mélanie. Et en bon taiseux pas un mot de plus. En cas de mauvaise nouvelle Philippe a pu seulement me dire : on ne va rien lâcher, la science avance à grands pas, notamment l’immunothérapie et la thérapie ciblée, juste une petite épreuve de plus…et moi je répondais tout aussi simplement : ça va le faire…

 J’ai, à plusieurs reprises, pensé que j’aurais peut-être un jour la lourde tâche d’expliquer à mon fils qu’il devrait subir une amputation pour augmenter ses chances de survie ! (Pratique assez courante avec le Sarcome d’Ewing). J’ai également pensé quelquefois que j’aurais à assister mon fils figé au fond de son lit depuis des mois, pesant 35Kgs et les yeux exorbités, et me demandant, me suppliant d’abréger ses souffrances. Je peux dire aujourd’hui que, dans ces conditions-là, j’aurais sans doute commis l’irréparable. Quant aux conséquences j’ai toujours admis que je devrai forcément m’en foutre. Puisqu’il était question uniquement d’amour.

J’ai alors pris l’option d’un site Web entièrement et exclusivement dédié à Philippe, parler de lui, montrer des photos et vidéos, des témoignages, parler de ses parcours, de sa maladie dont des deux dernières années, le tout sans filtre et en toute transparence. D’autant que certains, familles et les potes, m’ont plusieurs fois posé la question : que s’est-il donc passé qui ait fait que Philippe n’ait pas réussi une fois de plus à repousser le crabe durant les années 2017 à 2019 ? Ce site pour lequel j’ai été grandement aidé depuis Février dernier par Tim Beugnot et Charles Notarangelo que je veux ici remercier très sincèrement. Philippe, serait fier d’eux et heureux de voir qu’ils se sont impliqués pour la bonne cause, pour lui.

Cette opération Web a été menée durant plusieurs mois dans le plus grand secret, sauf pour Tim et Charles. Mélanie, son épouse, et mon épouse n’ont été tenues au courant de rien.

Pour autant avant la mise en ligne du site Mélanie et Christiane Morfin auront un accès pour demander tous amendements qui leurs paraîtraient nécessaires.

Que s’est-il donc passé de 2016 à 2019 pour Philippe ?

Ultime 4ème récidive découverte lors d’un contrôle le 21 novembre 2016. Présence de nodules sur un poumon. Une biopsie a confirmé qu’il s’agissait d’une reprise métastasique pulmonaire du Sarcome d’Ewing.

Les fêtes de Noël approchaient. De plus Philippe avait un projet pour fêter son anniversaire (30 ans) début Février 2017. Il a donc demandé et obtenu de son Médecin au CLB de différer le début du traitement qui consistait en une énième chimiothérapie. Traitement débuté le 13 février 2017 en hôpital de jour. Devinez qui était l’infirmière chargée de lui administrer son traitement ?

Plusieurs différentes chimiothérapies lui ont été proposées de manière pratiquement ininterrompue de Février 2017 à Juillet 2019. Les résultats ont très rarement été positifs. Quelquefois diminution d’une tumeur, d’autres fois évolutions et même découvertes de nouveaux nodules. Comme Philippe avait reçu de très fortes doses d’irradiations en 1998 il n’était pas possible de pratiquer de la radiothérapie conventionnelle. Il a pu néanmoins bénéficier de techniques avancées pour la destruction de tumeurs, soit le Cyberknife en Juillet 2017 et de la Cryothérapie en Mai 2018. Résultats très peu probants avec ces deux techniques. La maladie progressait toujours.

Seule la dernière chimiothérapie mise en place à partir de Septembre 2018 semblait pouvoir contenir la progression de la maladie. Cette dernière chimiothérapie a été très dure à supporter pour Philippe. Mais au bout de quelques mois il a fallu se rendre à l’évidence, la maladie repartait de plus belle.

Durant toutes ces périodes Philippe a montré un courage, une détermination à toute épreuve. Il restait absolument optimiste. Il est rapidement tombé très amoureux de Mélanie (en Juin 2017 ?), et nous savons tous qu’elle était elle aussi très amoureuse de son « guerrier ». Malgré les épreuves, les inquiétudes bien légitimes, nous n’avions jamais vu notre fils aussi heureux. Même ses potes nous interpellaient pour nous dire qu’ils constataient que Philippe avait changé, qu’il était heureux de sa belle histoire d’amour. S’il me fallait donner quelques exemples de sa détermination, de sa vision de son futur je pourrais citer : formation à distance en Intelligence Artificielle avec la célèbre université de Harvard. Formation ultra qualifiante en informatique (Le Wagon) mais aussi très éprouvante pour un corps et un cerveau sous chimio, soit 450H – 9 semaines de 50H. Démarrage d’une activité d’auto-entrepreneur dans le domaine informatique et devant le rapide succès rencontré mise en place de la Sarl Philippe Morfin – Tiret-du-6. Il a cessé sa formation Le Wagon le Vendredi 7 décembre 2018 et se trouvait donc dans un état de fatigue avancé lors de son mariage le lendemain, 8 décembre 2018, à l’Alpe d’Huez. Sur le plan sportif il a pu pratiquer le ski pendant les hivers 2018 et 2019, un peu de tennis et du ping-pong. Après s’être entraîné il a souhaité, sans doute pour forcer le destin, gravir un 4000m dans les Alpes Italiennes à l’été 2018 avec plusieurs potes (Le Grand Paradis). Bloqué par une capacité respiratoire déjà bien réduite il a dû renoncer vers 3000m et passer une nuit en refuge.

Les premiers mois de 2019 se sont passés à peu près normalement. Philippe encaissait les effets secondaires de chimio et était fatigué et amaigri. Mais il donnait beaucoup d’énergie dans sa nouvelle société, leur nouvel appartement, et dans les préparatifs de la grande fête de mariage qui aurait dû se tenir à Talloires (74) le 14 septembre 2019.

A partir de Juin 2019 la situation s’est dégradée progressivement. Tous ses potes ont pu constater un état de fatigue lors de l’EVG le 22 juin ! Philippe continuait à maigrir et un scanner thoracique le 1er juillet a montré une grosse évolution des tumeurs. De plus en plus fatigué par le fait qu’il dormait très mal. Comme il le disait : pas spécialement une douleur dans la cage thoracique mais une forte gêne avec laquelle il ne pouvait plus trouver de bonnes positions pour se reposer correctement.

Le Lundi 29 juillet, après un WE de repos en compagnie de Mélanie et de la petite Léa, Philippe a souhaité venir chez nous pour ne pas rester seul chez lui. Son état s’était considérablement détérioré. Il avait le souffle très court, des difficultés à l’effort, notamment pour marcher, même 10m. Vers 15h30 il m’a demandé d’appeler son Médecin car il voulait rejoindre l’hôpital. Nous sommes donc partis immédiatement. En l’accompagnant à ma voiture il m’a susurré du bout des lèvres : là c’est le bout du bout. Je n’ai pas osé relever, ou je n’ai pas pu. Dans la voiture, mon épouse étant à l’arrière, il a – fait exceptionnel – mis le volume de l’autoradio très fort comme s’il ne voulait pas que l’on parle, comme s’il ne souhaitait pas nous faire de la peine quant à son état duquel il n’était pas dupe. Il était en contact avec Mélanie par Sms. Mélanie nous attendait, en civil, devant l’hôpital, avec un fauteuil roulant. Dès son entrée dans le service on lui a mesuré sa saturation d’oxygène dans le sang : 57 !!! Mélanie nous dira plus tard qu’avec ce chiffre un patient est à minima dans le coma, voir décédé. Il a été immédiatement placé sous oxygène et une radio pulmonaire a été pratiquée dans son lit. Le résultat a été catastrophique. Comme disent les médecins le cancer avait flambé, très nombreuses et importantes tumeurs. Il n’y avait plus de place pour de l’air. Moins d’une demi-heure après notre arrivée le médecin a demandé à nous parler, Mélanie et les parents. Il nous a expliqué ce qui se passait et nous a clairement indiqué que notre Philippe ne passerait pas la nuit. Le drame, la catastrophe, la chose à laquelle on avait pu parfois penser bien auparavant mais qui devenait inéluctable.

De retour dans la chambre occupée par Philippe il m’a demandé : alors qu’a dit le Dr Brahmi ? Je ne voulais pas mentir à mon fils mais je ne pouvais me résoudre à lui dire la vérité. Alors pour la 1ère fois de ma vie j’ai menti partiellement à mon Phil puisque je lui ai répondu : il a dit que c’était sérieux ! Mon épouse et moi sommes restés encore un peu près de lui puis l’avons laissé vers 17h30 avec son épouse Mélanie. Nous sommes revenus vers 21h00 accompagnés de sa sœur Anne pour lui faire une bise. Nous sommes repartis dans la foulée car nous souhaitions vraiment que Mélanie profite, si l’on peut dire, de ses derniers instants avec l’homme qu’elle aimait tant. Mélanie nous a appelés à 0h50 le Mardi 30 juillet pour nous dire que Philippe était en train de partir. Nous sommes immédiatement partis pour le CLB. Son décès a été constaté à 1h15. Mélanie nous a assuré qu’il était décédé sans souffrance, digne, conscient jusqu’au bout. On lui avait préalablement expliqué qu’il bénéficierait d’une sédation et c’est lui-même qui a décidé du moment où les produits seraient mis en place.

Mélanie n’a pas voulu quitter l’hôpital et est restée près de lui toute la nuit assistant même à tous les soins post-mortem. Durant la soirée ils ont beaucoup parlé. De sa société dont il faudrait que je m’occupe de la liquidation, des relations avec Google pour lesquelles Cécile devait être en charge en langue Anglaise. Il a également demandé à son épouse de conserver la date du 14 septembre à Talloires pour faire un dîner souvenir avec tous ses potes et les plus proches parents. Enfin, le comble, il a demandé à Mélanie de nous remercier, nous ses parents, pour tout ce que nous avions fait pour lui. Comment des parents pourraient attendre des remerciements pour avoir mis au monde un enfant et l’avoir accompagné dans tous les bons moments de la vie comme dans les épreuves, même les plus difficiles ou irréversibles. C’est fou ! Pendant quelques heures, et dans le secret de leur amour, ils ont pu parler, parler encore. J’imagine que Phil en bon protecteur de sa douce a dû lui prodiguer quelques conseils pour la protéger.

Tous ceux qui ont connu et aimé Philippe savent à quel point, outre les souffrances plus physiologiques que physiques dans le déroulement de sa maladie, il aimait si fortement la vie. Il était toujours fort dans sa tête, hyper optimiste, ne se plaignait jamais et pourtant il n’était pas dupe. Sa grande maîtrise du numérique, ses discussions avec ses Médecins ont fait qu’il savait depuis bien longtemps qu’il était atteint d’une maladie malheureusement trop souvent incurable. Plus encore avec la énième rechute pulmonaire de 2016. Nous aussi nous savions tout cela. Mais nous n’en parlions jamais. Il y a toujours cru, a toujours eu plein de projets, en réalisant certains.

J’ose une phrase dure à écrire et sans doute à lire : Philippe a eu une vie extraordinairement très riche, mais malheureusement bien trop courte.

La maladie et la mort ne sont pas des échecs, le seul échec, c’est de ne pas vivre pendant qu’on est vivant !

(Bernie Siegel)

Je présume que tous nous pourrions nous entendre sur l’affirmation : Philippe aimait toutes les cultures, tous les gens, le Monde, et tout le monde aimait Philippe. Souvenons-nous qu’il a vécu aux USA (NY), en Pologne (Wroclaw), en Australie (Brisbane) et en Irlande (Dublin).

Mon vœu serait que tout le monde se serve de la vie de Philippe, de ses épreuves pour ne plus jamais chouiner, pleurnicher pour rien ou faire de la bobologie. Et bien sûr je formule le souhait qu’enfin puissent exister des traitements fiables pour le Sarcome d’Ewing afin de sauver de jeunes enfants et adolescents. Mais nous ne devons pas ignorer que les laboratoires n’investissent qu’à petites doses dans des recherches pour des maladies rares et touchant finalement peu de personnes. Business, marges, etc…

Avant de conclure je me dois de remercier encore tous ceux qui ont, d’une manière ou d’une autre, aidé, accompagné Philippe durant sa vie. Je ne voudrais bien sûr oublier personne. Je pense à ses médecins, tous les soignants, notre famille au sens le plus large, son épouse Mélanie et sa famille et tous ses potes. Et Dieu sait qu’il en avait un si grand nombre ! Également tous ses potes Googler à travers le Monde et le Staff Google, les RH qui ont eu une attitude exceptionnelle à l’égard de Philippe.

En parodiant la phrase célèbre de Thierry Roland lors de la Coupe du Monde 1998 je peux dire « je crois qu’après avoir fait cette démarche Web je peux mourir tranquille, enfin le plus tard possible ! »

Je suis fier d’avoir pu mener ce projet à terme et même, paradoxalement, heureux de savoir que ce site dédié à mon fils chéri me survivra longtemps et très certainement s’enrichira.


Michel MORFIN
Son Papa